Sha’ar Hagolan et la seconde Révolution Néolithique au Proche Orient (7ème millénaire av. J.-C.)

Un projet de fouilles franco-israélien

Les fouilles franco-israéliennes entreprises sur le site de Sha’ar HaGolan s’inscrivent dans le cadre d’un triple partenariat entre le laboratoire Technologie et Ethnologie des Mondes Préhistoriques (TEMPS, France), le Centre de Recherche Français à Jérusalem (CRFJ) et le Service des Antiquités Israéliennes (IAA, Israël). Elles s’effectuent sous la forme d’un chantier école coordonné par la Balkan Heritage Foundation (BHF, Bulgarie) (pour plus d’informations, voir: https://www.bhfieldschool.org/program). Les recherches de terrain sont co-dirigées par Julien Vieugué (chercheur CNRS) et Anna Eirikh-Rose (chercheure IAA) qui collaborent depuis 5 ans sur l’épineux problème de la transition Néolithique au Levant. Elles sont réalisées par une équipe internationale et multidisciplinaire constituée de 13 spécialistes affiliés à 11 institutions de recherche.

Enjeux historiques : Mieux comprendre le basculement définitif des sociétés levantines vers un mode de vie pleinement Néolithique

Les fouilles franco-israéliennes entreprises sur le site de Sha’ar HaGolan vise à mieux comprendre le basculement définitif des sociétés levantines vers un mode de vie pleinement Néolithique – la fameuse « Seconde révolution néolithique ». Ce basculement définitif, qui se produit au cours du 7ème millénaire av. J.-C., est marqué par le passage du Néolithique pré-céramique (PPN) au Néolithique céramique (PN). Afin d’apporter un éclairage nouveau sur cette transition historique, nous questionnerons :

  1. Les bouleversements sociaux essentiellement liés à l’émergence des premiers villages structurés en quartiers et en ruelles. Pourquoi ces changements se sont-ils produits ? Quel impact ont-ils eu sur l’organisation sociale des communautés néolithiques durant la transition PPN-PN ?
  2. Les profonds changements économiques caractérisés par l’émergence de la poterie et le développement du pastoralisme. Pourquoi les populations du Levant Sud ont-elles commencé à utiliser des récipients en céramique ? Les ont-elles utilisés pour stocker, transporter, préparer, cuire, et consommer diverses ressources alimentaires ? Existe-t-il un lien entre l’adoption généralisée de la poterie et le développement du pastoralisme durant la transition PPN-PN ?
  3. Les bouleversements symboliques matérialisés par la raréfaction des sépultures et la multiplication des figurines humaines. Que faisaient les populations du Levant Sud de leurs défunts ? Les enterraient-ils en dehors de leur village ou les incinéraient-ils ? Que représentaient les figurines anthropomorphes en pierre et en argile ? Symbolisaient-elles un culte des ancêtres ou de la déesse-mère ? Existe-t-il un lien entre la disparition des squelettes et l’apparition des figurines humaines durant la transition PPN-PN ?

En raison de sa séquence stratigraphique unique (2m d’épaisseur) couvrant l’ensemble du 7ème millénaire avant J.-C., le village éponyme de Sha’ar HaGolan est un site clé pour mieux comprendre les processus historiques ayant conduit à l’adoption généralisée du mode de vie Néolithique.

Sha’ar HaGolan : un village Néolithique majeur au Proche-Orient

S’étendant sur près de 20 hectares, Sha’ar HaGolan est l’un des plus grands villages Néolithique du Proche-Orient. Le site, situé dans la haute Vallée du Jourdain, a été découvert en 1941 par Yehuda Ruth et Motik Golani lors de l’aménagement de bassins piscicoles. Entre 1949 et 1952, Moshe Stelekis (Professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem) y réalise quatre sondages (A, B, C and D – 155 m2). Il met alors au jour une culture matérielle unique qu’il le conduit quelques années plus tard à définir la culture Yarmoukienne. Entre 1989 et 2004, Yosef Garfinkel (Professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem) mène la fouille extensive du dernier niveau d’occupation yarmoukien conservé (Secteur E, H, F, N – 2775 m2). Il met alors au jour de véritables quartiers d’habitation séparées par de ruelles, bouleversant nos connaissances sur le mode de vie des sociétés levantines de la seconde moitié du 7ème millénaire avant J.-C. que l’on pensait jusqu’alors nomades. A la fin du projet, un sondage profond est réalisé (Area G – 100 m2) pour connaitre la durée d’occupation réelle de cet habitat de plein air. Ce sondage révèle une séquence stratigraphique exceptionnelle de 2m d’épaisseur couvrant l’ensemble du 7ième millénaire avant notre ère. En 2022, Julien Vieugué (chercheur CNRS) and Anna Eirikh-Rose (chercheure IAA) entreprennent la fouille stratigraphique des multiples couches d’occupation néolithiques préservées sur le site (Secteur I) afin de mieux comprendre la transition PPN-PN au Proche-Orient (6600-6200 av. J.-C.) (Fig. 1).

Stratégie de fouilles : une approche palethnographique

 Afin d’atteindre les objectifs énoncés, un nouveau secteur de fouilles a été ouvert en 2022 (Secteur I) dans la zone protégée du site placée sous la supervision du Service des Antiquités Israéliennes (IAA). Ce nouveau secteur de fouille est situé le long de l’angle Nord-Est de la précédente zone de fouille (Secteur E) explorée par Yosef Garfinkel.  D’une surface totale estimée à 200m2, il est précisément localisé à l’Est de la principale rue et au Nord du bâtiment 1 du secteur E. La nouvelle zone de fouille semble idéale pour mettre au jour un nouveau quartier d’habitation et suivre son évolution tout au long du 7ème millénaire avant J.-C. En effet, les restes d’au moins un bâtiment y sont probablement préservés en raison de l’existence d’un mur à sous-bassement en pierre massif partiellement fouillé dans le Secteur E et qui se poursuit clairement dans le Secteur I.

Les fouilles sont menées suivant les principes de l’approche palethnographique telle que définie par André Leroi-Gourhan. Cette approche consiste à explorer les phases d’occupation successives d’un village Néolithique, en dégageant de façon méticuleuse les différents vestiges qui jonchent les sols préhistoriques. Afin de documenter précisément la séquence chrono-stratigraphique du site, nous avons opté pour un système d’enregistrement par unités stratigraphiques (US). Ce système, largement utilisé pour les fouilles de sites urbain multi-phasés, semble particulièrement approprié pour l’analyse de villages Néolithiques à stratification complexe. Les différentes Unités Stratigraphiques qui composent la séquence sont identifiées sur la base de différences sédimentaires et/ou concentrations d’objets. Chacune d’entre elles renvoie à un événement naturel et/ou anthropique, comme la construction d’un mur à sous-bassement en pierre, l’effondrement d’un mur en briques crues, la construction d’un sol d’habitation ou le remplissage homogène d’une fosse détritique.

L’équipe scientifique :

 Les recherches de terrain sont menées par une équipe multidisciplinaire et internationale composée de 13 spécialistes, dont 6 archéologues de terrain, 2 topographes, 2 conservateurs-restaurateurs, 1 micro-morphologue, 1 anthropologue et 1 directrice de musée. L’archéologue spécialiste de l’architecture Néolithique et le micro-morphologue chercheront ensemble à mieux comprendre l’émergence des premiers villages néolithiques structurés en quartiers durant le 7ième millénaire avant notre ère; l’anthropologue et l’archéologue spécialiste de l’art Néolithique chercheront parallèlement à clarifier le phénomène intriguant de la raréfaction des sépultures humaines et de la multiplication des figurines anthropomorphes durant la transition PPN-PN.

Premiers résultats : la campagne de fouille 2022

Une première campagne de fouille, financée par le Centre de Recherche Français à Jérusalem (CNRS-MEAE, UMIFRE 7) et le Service des Antiquités Israéliennes, a été menée du 12 au 24 juin 2022 (soit deux semaines) dans le but d’implanter le nouveau secteur de fouille (Secteur I) et mettre au jour la dernière couche d’occupation yarmoukienne préservée dans cette partie de l’habitat de plein air. Les recherches de terrain ont permis la découverte de deux bâtiments exceptionnellement bien préservés, dont l’un indiscutablement daté des débuts du Néolithique céramique au vu de la présence d’artefacts emblématiques de la culture yarmoukienne (Fig. 2). Ce bâtiment, découvert dans l’angle Sud-Est du secteur I, est orienté Sud-Ouest/Nord-Est. Il est constitué d’un mur à sous-bassement en pierre et élévation en terre associé aux restes d’un sol empierré et d’une structure plâtrée. En plus de dizaines de tessons et d’outils en silex, une figurine anthropomorphe complète d’une vingtaine de centimètres environ a été retrouvée le long de la face Est du mur. La découverte de tels vestiges en position primaire témoigne de l’excellent état de conservation des couches archéologiques du 7ème millénaire dans cette partie de l’habitat de plein-air.

Références :

Eirikh-Rose A. and Garfinkel Y. 2002 The pottery. In: Garfinkel Y. and Miller M. (eds.), Sha’ar Hagolan I. Neolithic Art in Context: 86-138. Oxford: Oxbow Books.

Eirikh-Rose A. and Vieugué J. (2022) – 8000-year-old Yarmukian « Mother Goddess » figurine uncovered at Sha’ar HaGolan. Interviewé par Judith Sudilovsky. Publié au Jerusalem Post. https://www.jpost.com/archaeology/article-711462

Garfinkel Y. 1993 The Yarmukian Culture in Israel. Paléorient 19,1: 115-134.

Garfinkel Y. and Ben-Shlomo D. 2009. Sha’ar Hagolan II – The rise of urban concepts in the Ancient Near East. Jerusalem: Israel Exploration Society (Qedem Reports 9).

Garfinkel Y. and Miller M.A. 2002 Sha’ar Hagolan I: Neolithic Art in Context. Oxford: Oxbow Books.

Garfinkel Y., Ben-Shlomo D. and Korn N. 2010 Sha’ar Hagolan III. Symbolic dimensions of the Yarmukian Culture: canonization in Neolithic art. Jerusalem: Israel Exploration Society.

Garfinkel Y., Ben-Shlomo D. and Marom N. 2012 Sha’ar Hagolan: a major pottery Neolithic settlement and artistic center in the Jordan Valley. Eurasian Prehistory 8,1: 97-143.

Rosenberg D. and Garfinkel Y. 2014 Sha’ar Hagolan IV: The Ground-Stone Industry: Stone working at the dawn of pottery production in the Southern Levant. Jerusalem: the Hebrew University of Jerusalem (Israel Exploration Society 29).

Vieugué J, Eirikh-Rose A., Whitford B., Boyadzhiev K., Harivel C., Marco E., Tzur M. (2023) – Sha’ar Hagolan and the Second Neolithic Revolution in the Near East. Report n°1 of the 2022 excavation season. 24p.