«Friends, Neighbors, Foes: A cultural history of Jewish-Arab relations in Palestine / Israel, 19th-21st cent.»

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Tuesday 4th May 2021 – 17:00-18:30 (Paris time) – 18:00-19:30 (Jerusalem time) – Via zoom and also at the offices of the CRFJ – 3 Shimshon St., Jerusalem (with mask, green pass and pre-registration at the following address : crfj@cnrs.fr) – The roundtable will be conducted in English.

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Introduction 

L’approche dominante concernant l’histoire des relations entre Juifs et Arabes en Palestine/Israël a longtemps été marquée par trois caractéristiques structurantes. Tout d’abord, la vision d’une « société dédoublée », qui postulait que les sociétés juive et arabe étaient des entités totalement séparées, repliées sur elles-mêmes et hostiles l’une à l’autre, dont le principal mode d’interaction était le conflit, généralement violent. L’accent était donc mis sur les relations de pouvoir entre les deux mouvements nationaux – sioniste et palestinien. Par ailleurs, les deux sociétés étaient analysées de façon surplombante, en examinant principalement les profils de leurs leaders politiques, diplomatiques et militaires, et en s’attardant sur les épisodes de confrontation. Les historiens qui adoptaient cette perspective considéraient que les deux communautés étaient monolithiques et que les frontières entre elles étaient parfaitement étanches. Enfin, dernière caractéristique, la guerre de 1948 était considérée comme un événement non seulement fondateur pour la période suivante, mais également comme un « évènement – pivot » qui déterminait y compris l’angle des recherches sur la période précédente, ayant débuté à la fin du dix-neuvième siècle avec la première vague d’immigration sioniste en provenance d’Europe de l’Est. Comme la Révolution pour l’histoire de la France du dix-huitième siècle ou la Shoah pour celle des relations entre Allemands et Juifs, la guerre de 1948 a longtemps été considérée comme un inévitable accomplissement, qui projetait son ombre sur la période antérieure en la réinterprétant de façon univoque. Dans une moindre mesure, les guerres qui suivirent – celles de 1956, 1967, 1973, 1982 et les deux Intifada – devinrent également des balises familières entre lesquelles l’histoire des relations Juifs-Arabes naviguait en ligne droite.

Cependant, au cours des vingt dernières années, une nouvelle perspective a peu à peu émergé, visant à étudier les sociétés juive et arabe en Palestine/Israël comme des entités aux frontières poreuses et mouvantes, évidemment structurées par des systèmes de confrontation mais également par des logiques de coopération ou de transaction. Cette approche dite « relationnelle » a en particulier mis l’accent sur les interactions horizontales et locales, pour enrichir et complexifier les approches privilégiant les divisions verticales et les catégories d’analyse reliées aux identifications nationales. Cette nouvelle tendance a mis en lumière l’hétérogénéité de chaque société, et l’analyse de ces diverses lignes de fracture sociales, religieuses ou ethniques a permis d’entrevoir des situations de contacts voire des opportunités de véritables alliances transnationales, en particulier sur des enjeux de genre, de classe ou de langues. Logiquement, ces nouvelles recherches ont privilégié l’étude de ces sociétés « par en bas », avec une attention particulière portée aux gens ordinaires – paysans, artisans, ouvriers, commerçants – et aux différents domaines de la vie quotidienne, des loisirs et de la culture populaire. Ce changement de paradigme a également motivé une nouvelle approche concernant les sources, en se tenant à distance ou en réinterrogeant les documentations officielles et institutionnelle déposées dans les archives nationales et militaires, et en cherchant à valoriser des sources moins visibles et jusqu’ici moins travaillées, comme des ouvrages ou des rapports ethnographiques, des ego-documents de statuts divers, et des témoignages visuels. Finalement, la perspective téléologique a fait place à une approche plus exploratoire, capable de rendre compte des voies alternatives et des expériences réussies ou inabouties, sans les évaluer à travers un prisme rétrospectif et en valorisant le point de vue des acteurs en tant qu’agents de leur propre histoire. 

Le présent dossier cherche à contribuer à cette nouvelle perspective « relationnelle », en se focalisant sur les relations culturelles entre les deux communautés. Il couvre la période entre la fin du dix-neuvième siècle et le début du vingt-et-unième, sans évidemment prétendre à l’exhaustivité. Les articles traitent de domaines variés – loisirs, littérature, musique, théâtre, philanthropie – mais tous s’intéressent aux interactions entre Juifs et Arabes et à leurs efforts pour se comprendre eux-mêmes et pour se saisir de multiples « altérités culturelles » durant cette période de mutations rapides. Tout en gardant à l’esprit que les relations culturelles sont constamment imprégnées de relations de pouvoir, les articles rassemblés ici montrent que les relations entre Juifs et Arabes en Palestine/Israël ne se limitent pas à une hostilité réciproque et à des conflits récurrents, mais qu’elles se tissent aussi de coopérations et de tentatives de vivre ensemble. Si ces tentatives se sont souvent soldées par des échecs, une « histoire des possibles » tend à prouver que les déconvenues d’une génération peuvent aussi devenir les ferments de tentatives à venir.

Introduction 

For a long period, the dominant approach to the history of Jewish-Arab relations in Palestine/Israel was characterized by three main features. First, a “dual society” perspective, which assumed that Jewish and Arab societies were separate, self-contained and mutually hostile entities whose main mode of interaction was often-violent conflict. This outlook therefore placed primary focus on the Zionist and Palestinian national movements. Second, both societies were studied “from above”, through the examination of their political leaders, diplomats and military men, and emphasis on their confrontations. Historians who adopted this view assumed that each society was monolithic, and that the boundaries between the two were clear-cut. Finally, the 1948 War was marked as a momentous event that dictated the research agenda of the period beginning in the late nineteenth century, with the first wave of Zionist immigration from Eastern Europe. Like the French Revolution in the history of eighteenth-century France, or the Holocaust in the history of German-Jewish relations, the 1948 War became an inevitable telos that cast a long shadow over the preceding period, painting it in a single color. To a lesser extent, the wars that followed – those of 1956, 1967, 1973, 1982 and the two Intifadas – also became important anchorages between which the history of Jewish-Arab relations sailed in a straight line. 

Over the past twenty years, however, another perspective has slowly emerged, which examines Jewish and Arab societies as entities with porous, constantly shifting boundaries that have not only fought but also cooperated with one another. This “relational” view has placed emphasis not on vertical division and national identity but rather on horizontal interaction and local patriotism. It has adopted the assumption that each society was heterogeneous, and at times deeply divided along class, religious and ethnic lines – a dynamic that enabled cross-national connections and alliances, notably around issues of gender, class and language. Proponents of this perspective prefer to study these societies “from below”, dedicating special attention to common people – peasants, artisans, industrial workers, shopkeepers – and to the domains of everyday life, leisure, and popular culture. This shift also demands a new kind of historical sources, which extend beyond the official documents deposited in state and military archives and include diverse, less familiar sources such as ethnographic records, various ego documents, and visual images. Lastly, the teleological view of history has been replaced with an approach that explores roads not taken and alternative – failed or successful – experiences, without scrutinizing them through the lens of hindsight. This approach does not regard wars as inevitable outcomes, and looks at historical processes through the eyes of their participants, working to understand their points of view as historical agents.

The present file aims to contribute to this new, “relational” approach while focusing on the cultural relations between the two societies. It covers the period between the late nineteenth century and early twenty first century, but does not presume to be exhaustive. The articles it includes concern varied domains – leisure, literature, music, theatre, philanthropy – but all focus on the interaction between Jews and Arabs and their attempts to make sense of themselves and their cultural counterparts during this period of rapid change. While taking into consideration that cultural relations are imbued with power relations, these articles demonstrate that Jewish-Arab relations in Palestine/Israel were not solely characterized by mutual hostility and recurrent conflict, but also by cooperation and efforts to lead a shared life. Although such attempts were often unsuccessful, a “history of possibilities” tends to show that the impasse of one generation could become a source of inspiration for future generations.